L’industrie du tourisme, qui connaît une évolution rapide, doit désormais relever les défis de la durabilité. Si une technologie émerge, sa mise en œuvre nécessitera un financement important. Les experts et les investisseurs du Travel World Forum ont appelé à une coopération entre les fonds publics, les entreprises et les consommateurs pour soutenir cette révolution verte.
Bobby Demri, fondateur de Roch Ventures, un fonds d’investissement spécialisé dans le tourisme, a déclaré que l’industrie connaissait une cinquième révolution. Il y a d’abord eu la révolution des GDS, puis celle des compagnies aériennes à bas prix. Puis, l’émergence des OTA, dont Booking, a changé la façon dont nous achetons des voyages. Quelques années plus tard, Airbnb est arrivé et a déclenché une autre révolution. Aujourd’hui, la technologie et la durabilité changent l’industrie. Mais il a ajouté qu’il n’existait pas encore de technologie révolutionnaire susceptible de changer définitivement les voyages. « J’encourage les entrepreneurs à penser à des technologies, à des produits, à des solutions qui auraient un réel impact, car les grandes entreprises cherchent désespérément ce type de solutions durables », a-t-il déclaré.
La nécessité de standardiser
Julia Sattel, associée chez Clearsky Funds, a confirmé que des efforts sont en cours dans le secteur de l’aviation. «Nous ne pouvons pas arrêter de voler, ce qui aura des conséquences économiques dévastatrices pour certains groupes, mais changer l’industrie», a-t-elle déclaré. « L’aviation a un objectif clair : atteindre zéro émission nette d’ici 2050. Les technologies existent, mais doivent être déployées à plus grande échelle et commercialisées plus efficacement. Il faut un changement d’ordre de grandeur. C’est difficile, mais c’est possible », a-t-elle affirmé sur scène. Plusieurs solutions existent : carburant d’aviation durable (SAF), matériaux légers, nouveaux systèmes de propulsion, recours à l’énergie solaire dans les aéroports, ou encore recours à l’intelligence artificielle pour optimiser les trajectoires de vol.
Trouver un équilibre entre les impacts environnementaux, sociaux et économiques.
Nikolaos Gkolfinopoulos, directeur du tourisme à l’ICF, a déclaré qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles ces solutions n’ont pas été immédiatement adoptées : « Le défi de la durabilité est de trouver un équilibre entre l’impact environnemental, social et économique. Mais souvent, l’impact économique, à court terme, entre en conflit avec les deux autres. C’est pourquoi certaines technologies, bien qu’existantes, ne décollent pas. Par exemple, les solutions électriques ou à hydrogène ne conviennent que pour les courtes distances. Que se passe-t-il si vous êtes en Australie et que vous voulez attirer des touristes des États-Unis ou du Royaume-Uni ? », a-t-il questionné.
Dans le cas d’Amadeus, Amadeus Ventures a commencé en 2021 à intégrer la durabilité dans ses critères d’investissement. L’entreprise a donc investi dans Chooose, qui fournit un moteur de calcul des émissions de carbone, et dans Caphenia Fuels (SAF), futur producteur de gaz de synthèse (une première matière durable pour l’aviation).
Faire émerger les émissions de scope 4
Trees4Travel propose également de mesurer l’impact carbone des voyages. L’entreprise a choisi de rendre ses outils gratuits aux entreprises. « Nous sommes convaincus que la technologie de mesure du carbone doit être gratuite, car si elle ne l’est pas, on n’arrivera jamais à établir une norme », a affirmé Nico Nicholas, CEO de Trees4Travel.
L’entité encourage les entreprises à investir l’argent qu’elles récupèrent dans des actions bénéfiques pour l’environnement.
On parle alors d’émissions de scope 4 ou « émissions évitées » et concernent les réductions d’émissions réalisées grâce à l’utilisation des produits ou services d’une entreprise. « Par exemple, si vous prenez le train plutôt que l’avion, vous pouvez calculer vos émission évitées », a expliqué Nico Nicholas. Ce concept relativement récent permet de mettre en avant les externalités positives des produits ou services d’une entreprise. Mais il n’est pas encore standardisé.
Qui doit payer la révolution verte ?
Bobby Demri estime que le financement du développement durable du tourisme doit avant tout être l’affaire des institutions publiques. « [Elles] doivent injecter de l’argent dans des fonds d’investissement comme le nôtre, ou dans des fonds dédiés à la durabilité, pour soutenir les nouvelles technologies qui répondent à ce problème », assure-t-il. « L’Europe est sérieuse en matière de durabilité. Qu’elle le prouve. Nous avons perdu la bataille de l’IA, ne perdons pas la bataille de la durabilité ».
Pour Julia Sattel, les gouvernements peuvent jouer un rôle en finançant des organismes industriels tels que l’IATA, mais investir dans des fonds tels que ClearSky dédiés à la durabilité de l’aviation peut également avoir un impact positif. « Les compagnies aériennes, par nature, sont très compétitives. Elles fonctionnent avec des marges très serrées. Elles subissent la pression de leurs actionnaires. Elles ne sont donc pas conçues pour résoudre le problème elles-mêmes », estime-t-elle.
Un besoin de clarification
Bobby Demri constate qu’il existe un réel besoin d’éducation et de transparence pour de nombreuses agences de voyages dans lesquelles Roch Ventures investit. « Les jeunes leaders, qui créeront probablement le prochain Booking, ne savent pas ce qui est attendu d’eux. Il y a un grand travail d’éducation à effectuer », a-t-il déclaré.
Nikolaos Gkolfinopoulos confirme que l’éducation est un aspect clé. Pas seulement pour les entreprises, mais aussi pour les consommateurs. « Parce que si les consommateurs ne comprennent pas l’impact de leurs choix, comment peuvent-ils prendre des décisions éclairées ? Je pense que c’est là que la technologie pourrait jouer un rôle crucial », soulève-t-il.
Tous les intervenants ont rappelé l’importance de la collaboration entre le secteur privé, le secteur public, les ONG et les consommateurs pour transformer le secteur.