Entretien / Le Maroc fait face à d’importants défis dans la mise en place d’une offre touristique adaptée au marché national. Dans cette interview avec Le360, Othmane Cherif Alami, président du Conseil régional du tourisme de la région Casablanca-Settat, partage son analyse de la situation actuelle ainsi que les perspectives d’avenir.
Selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, le tourisme interne a enregistré une croissance plus rapide en termes de nuitées dans les établissements d’hébergement touristique classés (EHTC) que le tourisme récepteur durant la période 2010-2019, enregistrant une évolution de 94%, avec un taux de croissance annuel moyen de 7,64%, contre 2,51% pour le tourisme récepteur. D’après Othmane Cherif Alami, président du Conseil régional du tourisme (CRT) de Casablanca-Settat, cette tendance souligne un intérêt croissant pour les voyages à l’intérieur du pays. Cela s’accompagne d’opportunités immenses, bien que toutes ne soient pas encore exploitées. C’est pourquoi le professionnel insiste sur l’importance de mettre en place des sociétés de développement régional spécialisées pour stimuler cette industrie.
Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle du tourisme interne au Maroc?
Othmane Cherif Alami: Une hausse notable des nuitées a été constatée, au cours des deux dernières décennies, dans les établissements d’hébergement touristique classés et même au niveau des réservations effectuées sur les plateformes en ligne pour les voyageurs nationaux. Concrètement, le tourisme domestique, principalement le segment comprenant les résidents marocains, en particulier les catégories socioéconomiques A, B+ et B-, a joué un rôle majeur, contribuant à près de 30% des nuitées dans les hôtels classés au Maroc et potentiellement jusqu’à 50% des nuitées dans les appartements meublés réservés via des plateformes en ligne telles qu’Airbnb.
Cela nous amène à considérer que le domaine du numérique jouera un rôle prépondérant dans l’évolution future du tourisme, tant au niveau international qu’au niveau intérieur. Cependant, toutes les opportunités n’ont pas encore été pleinement exploitées. Je m’explique: le tourisme national a besoin d’une gouvernance régionale et une coordination nationale. Il faudrait donc que les sociétés de développement régional spécialisées dans le développement touristique existent, participent et s’adaptent aux besoins spécifiques des zones touristiques prioritaires.
Justement, comment les 12 régions du Maroc pourraient-elles maximiser leur contribution potentielle au PIB régional grâce aux industries touristiques?
Les régions du Maroc peuvent contribuer à hauteur de 10 à 15% de leur PIB régional grâce aux industries touristiques. La création d’emplois, qui est au centre de nos préoccupations aujourd’hui, est là pour conforter cette immense stratégie, qui n’a pas encore véritablement vu le jour, comme notamment souligné par la Cour des comptes.
Malheureusement, les actions inscrites dans les Visions 2010 et 2020 du tourisme comportaient une part importante dédiée au développement du tourisme interne, notamment par la création d’unités d’hébergement au niveau des régions, adaptées à différents budgets. Toutefois, il est regrettable de constater que les ressources nécessaires n’ont pas été mobilisées. Cela inclut les moyens de financement, les ajustements juridiques et les incitations fiscales. En effet, les réalisations durant la période 2011-2020 demeurent nettement en deçà de la cible initiale de 40.000 lits prévue à l’horizon 2020.
Selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, le plan Biladi vise à développer 8 stations touristiques d’une capacité globale de 39.788 lits. Mais jusqu’à fin 2022, seules 3 stations avaient été effectivement réalisées. Qu’en pensez-vous?
C’est un déficit notoire. Ce n’est pas un résultat désastreux, car il y a eu des ajustements, notamment grâce à Airbnb, qui a gagné en popularité en tant qu’alternative, comblant en quelque sorte ce manque au Maroc. Trois stations ont été effectivement réalisées, à savoir celles d’Ifrane (5.772 lits), d’Imi Ouaddar à Agadir (6.844 lits) et de Mehdia (4.360 lits), soit légèrement moins de 43% de l’objectif initial fixé, comme indiqué par la Cour des comptes. De même, le développement des résidences immobilières de promotion touristique (RIPT) n’a pas connu l’essor attendu.
Comme expliqué précédemment, les aspects financiers et fiscaux n’étaient plus adaptés et la loi n’est toujours pas venue pour redonner une dimension nouvelle à ces unités d’hébergement qui sont toujours d’actualité. Il faut que les cadres légal et fiscal se mettent en phase de redonner une attractivité certaine à cette activité.
Les chèques-vacances ont, eux aussi, connu un retard dans leur mise en place…
Depuis cinq ans maintenant, le chèque de voyage, proposé par la Confédération nationale du tourisme et destiné à être défiscalisé au profit des entreprises, n’est toujours pas opérationnel. Bien qu’il fasse partie des mesures visant à stimuler la demande dans le tourisme intérieur dans le cadre de la Vision 2020, il a accusé un retard dans son implémentation. Selon la Cour des comptes, malgré l’introduction de la mesure dans le Code général des impôts, les textes réglementaires précisant l’assiette des bénéficiaires et les modalités de sa mise en œuvre ne sont pas encore mis en place.
Comment évaluez-vous les incitations tarifaires mises en place pour promouvoir les voyages nationaux, que ce soit par voie terrestre ou aérienne?
J’ai suivi avec un grand intérêt les annonces de réduction tarifaire pour les voyageurs de plus de 60 ans, pour les moins de 20 ans, ainsi que pour les familles, pour le transport ferroviaire. Je trouve que ces offres sont adaptées aux besoins des voyageurs. Cependant, en ce qui concerne les transports terrestres, il semble qu’il n’y ait pas vraiment de promotions spécifiques pour le tourisme national, comme par exemple pour les péages autoroutiers.
Cette situation peut s’expliquer par le fait que la demande dépasse toujours l’offre, et en conséquence, l’offre n’a pas besoin de tarifs spéciaux pour attirer les voyageurs, surtout pendant les périodes de vacances scolaires et les grandes fêtes nationales, où les services de transport terrestre sont souvent très sollicités.
En ce qui concerne le transport aérien, qui devrait jouer un rôle essentiel dans le désenclavement des régions, il est regrettable de constater que les régions allouent, d’une part, des budgets conséquents pour établir des connexions, mais négligent, d’autre part, les investissements dans la communication et le marketing ciblant les voyageurs potentiels.
D’après vous, quelles actions devraient être entreprises pour dynamiser davantage le tourisme interne?
Il est impératif de reconsidérer le système de gouvernance au niveau régional, en accentuant l’importance des entités décentralisées dans la direction des projets de tourisme. Parallèlement, il est essentiel d’améliorer la collaboration entre les différents acteurs locaux. Il est aussi nécessaire de développer une gamme de produits touristiques variés, spécifiquement conçus pour répondre aux attentes des voyageurs nationaux, tout en assurant une distribution homogène de ces offres pour toutes les destinations touristiques du pays. Enfin, il est crucial d’élaborer une stratégie de communication efficace qui positionne le tourisme domestique comme un segment de première importance.
Source : le 360 / Par Hajar Kharroubi